L’intendance de la création


16 Mar 2015

Les approches écologiques

Il existe bien des approches par rapport à l’écologie. Celles-ci ont toutes le même objectif : optimiser la nature pour le bien commun d’aujourd’hui et du futur. De manière générale, la population a une conscience grandissante des dangers qui guettent l’équilibre de notre écosystème. Pourtant, il n’est pas rare de voir des gens désengagés face à la problématique. En effet, bien des individus trouvent compliqué d’intégrer dans leur quotidien les différentes pratiques recommandées comme le compost et le recyclage. Peut-être y a-t-il une sorte de distorsion dans la manière dont l’être humain se perçoit en fonction de l’écosystème. Un peu comme si l’homme se croyait étranger sur cette terre et que la nature n’avait de valeur que sous un rapport utilitaire. Dans cette façon de penser, notre rapport avec l’écologie devient, lui aussi, utilitaire, de sorte que la raison de préserver la nature ne revient qu’à préserver des ressources pour leur utilité. De manière similaire, les agriculteurs, les arboriculteurs ou mêmes les experts en abattage d’arbres, se sentent bien souvent dépassés en ce qui concerne une éthique bien fondée dans leurs domaines respectifs. En effet, ils sont souvent pris entre leurs objectifs de rendement, incluant les attentes des clients, et l’appel de la nature pour une approche écologique.

Notre dépendance à la nature

Il est évident que l’homme est entièrement dépendant de la nature, mais, en pratique, nos styles de vie nous éloignent d’une interaction saine avec elle. Ainsi se crée un fossé entre ce que nous savons et ce que nous faisons, et c’est à ce problème que nous voulons nous adresser. Notre hypothèse est que le problème se situe dans notre savoir-être, et que la solution devrait passer par une transformation intérieure des individus et des communautés, surtout urbaines. En ce sens, un expert en émondage mis devant un choix éthique difficile devrait se poser la question suivante : « ceci est-il compatible avec ce que, ou qui, je suis ? »

Lorsque nous affirmons notre dépendance face à la nature, nous ne parlons pas seulement des ressources importantes pour notre consommation. Il existe aussi des bienfaits biophiliques. En effet, l’interaction de l’être humain avec la nature, que ce soit en fabriquant des jardins ou en se retirant dans la forêt pour se recueillir, est bénéfique en soi pour l’homme tant sur le plan mental que physique. Ceci donne une raison de plus aux élagueurs de bien vouloir discuter avec leurs clients des solutions les plus durables, plutôt que de procéder aveuglément à un abattages d’arbres sans questionner quoi ce soit.

L’identité humaine au coeur de la crise écologique

Toute réflexion éthique devrait commencer par un questionnement sur qui nous sommes. Et ceci inclut la question de notre rôle : pourquoi sommes-nous ici? Nous sommes des êtres dépendants de la nature, mais nous sommes bien spéciaux : nous possédons la capacité de dominer et de modifier la création à notre guise. Avec ce genre de capacité doit bien appartenir un mandat : celui de prendre soin de la terre comme des intendants. Si notre rôle en tant qu’êtres rationnels est celui de l’intendance, alors il est évident, et la crise écologique en témoigne, que nous nous sommes détournés de cette vocation. La crise écologique serait alors une crise qui prend sa source au coeur même de l’identité humaine.

Cette idée a beaucoup été développée par le théologien Douglas John Hall. Selon lui, la crise écologique a commencé lorsque l’être humain a cessé de comprendre son rôle dans le monde comme celui de l’intendant de la création. Intendance, « stewardship » en anglais, c’est-à-dire que l’homme a reçu la tâche de gérer les ressources de la planète comme le ferait un gestionnaire avisé. La force de ce concept est tirée du fait que l’intendant gère, mais cela en vue du bien de la chose qu’il gère et pour faire profiter ce bien à celui qui lui en confie la tâche. La théorie est théologique, elle consiste en ceci : Dieu a créé le monde et y a placé l’être humain pour être son représentant et l’intendant des richesses terrestres. Ainsi, le bien de la création doit être recherché par nous, les intendants, en vue d’honorer le Dieu créateur en gérant les biens de la terre avec justice, mais aussi avec amour pour les générations futures. Que l’on soit croyant ou non ne change rien, c’est l’intelligence du propos qui importe ici. En effet, un simple effort de logique permet de tirer la même conclusion : nous sommes dépendants de la nature et nous sommes capables de la modifier, il est donc en notre propre intérêt de nous comprendre comme les intendants de la terre.

Affirmer que la crise écologique est une crise de l’intendance est de remettre l’homme au centre de celle-ci. Le problème n’est pas seulement de l’ordre du savoir ou du faire, mais aussi de l’ordre du savoir-être. Avec la conviction qu’il est l’intendant de la création, l’être humain évalue son rapport à la nature avec un souci d’authenticité et d’intégrité. Ainsi, les efforts que l’homme déploie pour que ses développements soient durables deviennent pour l’intendant une question d’être fidèle à soi-même et au créateur. Celui dont le métier est la taille d’arbres se voit investit d’une mission : prendre soin des arbres pour permettre aux générations futures d’en profiter. Lorsqu’il agit à l’encontre de cette mission, il agit à l’encontre de qui il est. L’intendant ne se demande pas si tel ou tel geste fera une différence qui est perceptible dans l’immédiat, il ne se décourage pas en disant  :« mon compost à moi ne changera rien à la pollution dans le monde », car son souci est d’être pleinement qui il est appelé à être, il cherche à être pleinement humain.

L’écologie civique

Or, il est bien beau d’affirmer que nous sommes les intendants de la création, toujours faut-il que nous le vivions vraiment ! Ce n’est pas seulement en entendant des paroles ou en lisant un article que nous allons changer. C’est en forgeant que l’on devient forgeron. Le défi est de nous remettre en contact avec des pratiques d’intendance. L’approche qui va le plus de pair avec ce souci est l’écologie civique. Cette approche regarde les initiatives écologiques comme des forces transformatrices pour les individus et les communautés. Par exemple, une communauté travaille à la restauration d’un cours d’eau local et celui-ci redevient potable, résultat : les participants prennent conscience du rôle d’intendants qu’ils peuvent jouer dans leur localité. Autre exemple, une famille décide de concevoir un potager dans sa cours, résultat : toute la famille intéragit avec la nature d’une manière créatrice qui correspond directectement au rôle d’intendant. Ou encore : une compagnie décide de faire appel à des experts en paysagements comestible plutôt au lieu de mettre du pavé uni, résultat : une prise de conscience que les corporations sont au service de la création et doivent eux aussi faire leur part.

C’est avec ce genre d’initiative que les habitants des régions urbaines peuvent reprendre contact avec la nature et guérir cette illusion d’indépendance. L’écologie civique est l’approche qui permet de restaurer non seulement l’écologie, mais aussi le savoir être de l’intendance. Il s’agit d’une approche qui s’étend sur trois volets : la foresterie communautaire, le jardinage communautaire et la restauration des cours d’eau. En misant sur ces trois aspects de l’écologie urbaine, il est possible de ramener la nature dans nos villes, tout en ramenant le sens de l’intendance dans la population urbaine.

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Dominic Perugino

Comments

  1. […] quelques notions concernant le concept d’intendance de la création. Si la philosophie rime souvent avec abstrait, il est indispensable qu’elle devienne quelque […]

  2. […] de notre propre spiritualité. D’emblée, ce proverbe nous invite à nous réapproprier le concept biblique d’intendance, concept qui aurait dû informer, au moins minimalement, les projets des civilisations chrétiennes […]

  3. […] rejoint la réflexion qui englobe notre blogue : l’intendance de la création. L’intendant doit agir en fonction de ce qu’il reconnaît comme son identité. […]

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